Chronique d’une recherche - Un sourire en coin : Le rôle de l’émotion dans la scénographie d’Habiter l’Ensemble.
Publiée le vendredi 12 décembre 2025

Le rôle de l’émotion dans la scénographie d’Habiter l’Ensemble.

Un sourire en coin – le rôle de l’émotion dans la scénographie d’Habiter l’Ensemble.

Depuis quelques semaines, je vois arriver des visiteurs avec un sourire en coin. Ils s’approchent des portes du CAUE et nous demandent avec des yeux rieurs, s’ils sont au bon endroit pour découvrir l’exposition Habiter l’ensemble sur le logement collectif.

Si je n’étais pas dans la confidence, je me demanderais ce qui peut bien donner envie de se presser pour voir une exposition d’architecture, alors que l’automne arrive et comme je l’ai observé depuis plusieurs années, s’il pleut et si l’on est varois, on réfléchit à deux fois avant de sortir de chez soi … Certains ont du mal à contenir leur impatience et nous demande à peine arrivés, où se trouve le fameux appartement dont on leur a parlé.

Au moment de travailler sur l’exposition, la question s’est posée d’emblée : comment partager avec nos publics le sujet des logements collectifs du XXe dans le Var ? Comment ne pas en faire une exposition technique et cérébrale qui risquerait de maintenir la plupart des visiteurs à distance ? De discussions en réflexions, une idée nous a enthousiasmées : en parallèle de la présentation des dix typologies de logements photographiées avec sensibilité par Charlotte Rochez, nous allions mettre en scène un appartement des années 60-70. Chaque pièce est reconstituée avec les objets, matières et couleurs de cette période. Mettre en jeu les souvenirs et le vécu émotionnel des visiteurs et si c’était ce qui allait nous aider à rencontrer nos publics ?

Naissance d’une recherche

Faire le récit de ces réflexions est une manière pour nous de partager une recherche qui anime l’équipe du CAUE Var depuis 2023. Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’explorer de nouvelles formes et relations pour créer une culture commune de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage. Parler d’architecture ne devrait pas être excluant, il s’agit au contraire de s’adresser à tous : à l’habitant et au professionnel, à l’enfant et à l’élu, à l’enseignant et au technicien…

C’est cette volonté de créer une proximité avec nos publics qui nous inspire pour envisager la sensibilisation comme un véritable temps de transmission. Car ces temps d’échanges loin d’être anecdotiques, sont la condition pour qu’une prise de conscience émerge, afin de susciter un engagement actif pour prendre soin du territoire. C’est également dans cette perspective que nous expérimentons des outils et de nouvelles formes à travers une formation en perpétuelle évolution.

Les visiteurs qui redescendent du premier étage ont souvent l’œil qui brille. Ils nous parlent de la table en formica de leurs grands-parents, du napperon à fleurs, du minitel, du livre Bonne nuit les petits, du vinyle de Julio Iglesias, des bigoudis de la salle de bain et du casque à permanente… Et c’est à partir de ce moment-là que notre travail de médiation commence : rebondir sur leurs souvenirs et faire des liens, s’interroger sur ce que cela raconte de la modernité à cette époque, se demander comment l’espace a été conçu et retourner voir les photos. Identifier ensemble certaines qualités oubliées, comme l’espace traversant, le contact avec le végétal, le lien direct aux commerces, la qualité des espaces communs, le traitement du sol et des savoir-faire locaux. Nuancer aussi, réfléchir à ce qui pourrait être autrement, parler du bruit et de la solidarité à la fois, de l’entretien pas toujours simple et de la fierté exprimée de vivre dans ce logement, du sentiment de faire partie d’une petite communauté.

 

L’attention portée à la relation

Les expositions proposées au CAUE Var ont cela de particulier : leurs scénographies ne peuvent pas exister sans un dialogue avec les visiteurs. Le but n’est pas qu’elles « tiennent toutes seules », mais qu’elles créent de l’échange en évoquant des pistes plus que des réponses définitives. Notre souhait est de faire vivre un lieu où la relation est prise en compte, où il est possible de s’écouter, de nourrir nos réflexions à partir de cette rencontre avec les publics.

Quand les visiteurs repartent et qu’ils nous remercient, j’en viens à me dire que ce sourire en coin est un indice que cette approche-là peut porter ses fruits. Partir du sensible et de ce qui nous rassemble, proposer une expérience à vivre pour ensuite, aller vers des notions plus techniques.

Quand ils passent à nouveau les portes du CAUE pour repartir, il faut parfois enjamber quelques enfants qui jouent aux dominos, aux Mikados géants ou aux Kaplas. Ces jeux qui étaient dans la chambre de la scénographie, et qu’un jour, on a descendus pour que les enfants du XXIe siècle puissent faire vivre la place des Halles.

Mathilde Szydywar-Callies Responsable de l’action sensibilisation au CAUE Var

 

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  • Chronique d'une recherchePartie 1 : “Un sourire en coin” — Quand l’émotion devient médiation